Les visages de l’ombre

Dans une série saisissante, le photographe Aldo Soligno met en lumière la condition des homosexuels ougandais, après le durcissement de la loi anti-gay dans le pays.

En février 2014, le Parlement ougandais a adopté, à une large majorité, une loi qui durcit la répression de l’homosexualité. Alors que, dans le pays, les relations homosexuelles – appelées « crimes d’homosexualité » – étaient déjà passibles de la prison à vie, la loi criminalise à présent tout soutien aux homosexuels (7 ans de prison) et encourage la délation.

« Ce « crime d’aide et de soutien » condamne aussi les avocats qui défendent la personne accusée ou un simple témoin. Ce qui rend très difficile la défense des personnes accusées d’homosexualité », explique le photographe Aldo Soligno. « En plus, il ne s’agit plus à présent de prendre les personnes sur le fait, la suspicion d’homosexualité est suffisante pour être accusé… Après l’adoption de la loi, la plupart des tabloïds ougandais comme Red Pepper, Hello et The Sun, ont, pendant plusieurs semaines, publié des centaines de photographies d’homosexuels présumés et d’activistes gays sous le titre « Pendez-les ». »

C’est pourquoi le photographe a choisi, avec sa série « Let them show their faces » (« Laissez-les montrer leurs visages ») de prendre le contre-pied de cet étalage médiatique inadmissible : il a demandé aux activistes LGBT ougandais de poser devant une lumière vive. Mais il a choisi de les photographier de dos, la silhouette délicatement découpée par la lumière crue. « Les images représentent ce qui pourrait être un négatif hypothétique des photos diffamatoires publiées dans la presse. »

Le rendu est assez saisissant. On devine clairement ces hommes et ces femmes et, malgré la découpe de leur visage si tenue (qui, comme leur vie, ne semble tenir qu’à un fil), on saisit beaucoup d’eux, de leur personnalité. Ces quelques lignes de lumière sont autant d’étincelles au cœur des ténèbres. Eux que la société voudrait rejeter dans l’ombre, semblent résister aux limbes. Qu’on ne voie que leurs contours est une force et pas une faiblesse : sans visage, ils sont le visage de tous les homosexuels du pays.

Le photographe, né à Naples en 1983, s’est frotté à plusieurs sujets difficiles qui ont fait l’actualité (les révolutions arabes en Tunisie et en Egypte, l’opération Plomb durci à Gaza…). Pour « Let them show their faces », il a tissé des liens avec les personnes photographiées. Quand il a entendu parler des lois anti-gays en Ouganda, il a décidé de réaliser un reportage sur la vie quotidienne des homosexuels, « The Struggling Life of Gay Community in Uganda ». « Il était important de dénoncer ce qui était en train de se passer. J’ai voulu décrire leur vie au quotidien pour montrer qu’il n’y a pas de différences entre l’amour hétéro et l’amour homo. Les sentiments et la passion sont les mêmes. » C’est ensuite, qu’il s’est attelé à la série « Let them show their faces ». « J’ai rencontré ces activistes par le biais d’une association basée en Italie. Ensuite, en Ouganda, j’ai passé du temps avec eux et j’ai eu la chance de vivre avec eux, dans leurs maisons. Ils étaient terrorisés par la situation. La confiance s’est installée petit à petit. Et je suis fier de ce que nous avons réalisé ensemble. »

Aldo Soligno vit à Milan, il est représenté depuis 2013 par l’agence de Photo Echo. La série « Let them show their faces » fait partie du festival Circulation(s), jusqu’au 8 mars à Paris.

© Aldo Soligno
© Aldo Soligno

© Aldo Soligno
© Aldo Soligno

© Aldo Soligno
© Aldo Soligno

© Aldo Soligno
© Aldo Soligno

© Aldo Soligno
© Aldo Soligno

© Aldo Soligno
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