On l’appelait Chocolat, sur les traces d’un artiste sans nom

Gérard Noiriel, socio-historien, spécialiste de l’histoire de l’immigration, a enquêté pendant plus de six ans sur les traces de celui que l’on appelait le clown chocolat, icône circassienne parisienne de la fin du 19ème siècle.

A l’occasion de la sortie simultanée de son livre « Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom » , et de l’exposition « On l’appelait Chocolat, sur les traces d’un artiste sans nom », à la Maison des Métallos, nous l’avons rencontré.

« Le clown chocolat est le premier artiste qui a familiarisé le public parisien avec la gestuelle des esclaves afro-américains. Nous sommes en 1886, la plupart des français n’ont jamais encore vu des noirs. Nous sommes bien avant le jazz, bien avant le succès de Joséphine Baker. » souligne Gérard Noiriel lors de notre visite de l’exposition à la Maison des Métallos.

Né esclave à la Havane, Chocolat n’avait aucune existence pour l’état civil jusqu’à ce qu’on lui donne un nom : Rafael Padilla à sa mort en 1917. Toutefois, un doute subsiste quant à la véracité historique de ce nom, l’historien Gérard Noiriel penche plutôt pour l’hypothèse selon laquelle ce patronyme serait en fait celui de son maître qui l’avait acheté à Bilbao.

© BNF
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Le 20 janvier 2016, la Maire de Paris, Anne Hidalgo, inaugure une plaque commémorative au 231 rue St Honoré dans le 1er arrondissement de Paris, célèbre adresse du Nouveau Cirque, où il y a été pendant plus de 20 ans la vedette.

Comment raconter l’histoire d’un homme qui n’a laissé aucune trace dans les archives ?

Grâce à des recherches minutieuses, quasi journalistiques, qui l’ont conduit jusqu’à la rencontre des descendants à la Havane ou en France, Gérard Noiriel a réussi à écrire la biographie de ce personnage à la trajectoire exceptionnelle dans son livre : Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom.

Le livre paraît la même semaine que le film Chocolat de Roschdy Zem, et que l’exposition documentaire à la Maison des Métallos. Autant d’évènements à la mémoire de ce premier artiste noir ayant connu la célébrité à Paris.

« La convergence de ces initiatives permet non seulement de rendre hommage à cet artiste, mais aussi de montrer aux Français le rôle que des esclaves affranchis comme lui ont joué dans l’histoire de notre patrimoine culturel. «  déclare Gérard Noiriel à la fois conseiller historique du film et commissaire de cette exposition qui se poursuivra jusqu’au 28 février 2016.

Au cours de ces recherches, Gérard Noiriel a pu trouver des sources iconographiques et faire sortir ce personnage de l’oubli, afin de réhabiliter sa mémoire.

« J’ai effectivement rencontré des difficultés pour trouver des sources et pour les décrypter, heureusement mes sources ont été enrichies par le témoignage des descendants «  nous confie t-il lors de notre rencontre.
Pas de traces dans les archives, certes, mais des traces indéniables de son existence dans des œuvres d’art de la Belle époque : Toulouse Lautrec le dépeint dans une toile intitulée Chocolat dansant dans un bar, Jean Cocteau fait son portrait, et les frères Lumières ont filmé les sketches du duo clownesque Footit et Chocolat.

Lorsqu’il ne joue pas au Nouveau Cirque, il fait des représentations chez les aristocrates de l’époque, qui sont ses contemporains. Il a ainsi fréquenté Jean Cocteau, Léon Blum, Claude Debussy, Sarah Bernhard, Raymond Poincaré avant de sombrer injustement dans l’oubli.

Les photographes de l’époque Lucien Walery, Marius Neyroud, Roger Viollet, ont tous tiré le portrait de ce clown blanc et de son auguste: le pierrot noir, autant d’archives photographiques originales témoignant du racisme d’une France au tout début de sa colonisation sur le continent africain.

« Le sentiment d’étrangeté qu’il véhicule entraîne à la fois un sentiment de répulsion et de fascination de la part du public. »

En effet, le clown noir est le souffre douleur du clown blanc, la chute de presque tous les sketches est sans surprise : Chocolat se fait soit giflé soit botté le cul par Footit ! Et le public du Nouveau Cirque est hilare à chaque représentation.

Cependant ce qui intéresse l’historien au-delà d’un constat d’une société raciste, c’est la résistance aux stigmates :  » L’exemple emblématique du clown Chocolat servira de support pour rappeler que les Africains ayant connu l’esclavage n’ont pas été seulement des victimes, mais aussi des résistants. Certaines photographies sont des illustrations de la résistance de Chocolat qui dans certains sketches prend sa revanche sur Footit. Cette résistance a produit une culture spécifique, qui a nourri le spectacle vivant en France dès le XIXe siècle. » nous explique le commissaire de l’exposition.

Parmi les nombreux documents de la BNF ou des Archives de Paris, présentant le duo burlesque, un portrait « sérieux » de Chocolat, posant exceptionnellement sans son bourreau d’acolyte, interpelle.

On y voit Chocolat seul, en pieds, le buste redressé, un brin cambré, un cigare dans une main élégamment gantée.

En 1902, au sommet de sa gloire, Chocolat se rend chez Du Guy, grand photographe parisien, et lui demande de réaliser son portrait.

Le photographe s’exécute et immortalise la posture de la dignité d’un homme qui a trop longtemps souffert des quolibets et des stigmates.

 » A travers l’histoire de cet artiste affublé d’un surnom humiliant et qui n’a jamais eu d’état civil, l’exposition aborde aussi la question des discriminations et du combat pour la dignité. » affirme Gérard Noiriel.

Seul devant l’objectif, il n’est plus le clown chocolat, mais un homme libre et fier de son parcours. Si la photographie ne donne pas de nom à cet homme, elle lui redonne un visage, permet de ré humaniser le temps d’un cliché…

Une exposition à voir à la Maison des Metallos à partir de 14h sauf le lundi du 3 au 28 février 2016.

© BNF
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