Seydou Keïta au Grand Palais

«  J’ai été séduit par l’extraordinaire modernité de Seydou Keïta et sa dimension incontestablement internationale lors de l’exposition Seydou Keïta. Portraits de 1949 à 1964 en 1994 à la Fondation Cartier à Paris. Le passage de l’anonymat du studio à celui du monde de l’art est mérité pour ce photographe trop longtemps ignoré. Le Grand Palais est un lieu de culture mondiale à Paris. C’est le point de rencontres de cultures différentes. Pendant l’entre deux guerre il a été le lieu de l’exposition coloniale … C’est capital pour moi de montrer ce travail ici et tout ce que nous devons à l’Afrique. Nous partageons une mémoire commune qu’il faut activer. On enrichit mutuellement nos identités.» nous confie Yves Aupetitallot, commissaire général de l’exposition au Grand Palais.

Cette exposition rétrospective est organisée de façon chronologique, elle présente une large collection exceptionnelle de photographies vintages datant des années 50. « Les ¾ de mes tirages sont foutus ! » râle Seydou Keita dans une vidéo présentée dans l’exposition, lorsqu’il explique la très grande difficulté de conservation de ses pellicules. Elle a cela d’inédit qu’elle montre également pour la première fois, de nombreux tirages argentiques modernes réalisés entre 1993 et 2011 et tous signés de la main du maître Keïta.

« C’est André Magnin qui propose des grands formats dans les années 90, Seydou Keïta les valide en pleurant car c’est exactement ce qu’il a toujours voulu faire mais qu’il n’a jamais concrétisé faute de moyens. Les grands tirages mettent en valeur tout son génie, lui-même en prend conscience à ce moment là. » raconte le commissaire général.

Les portraits sont toujours de ¾, c’est la signature Keïta ! La position des mains est essentielle chez ce portraitiste malien autodidacte. Chaque personne photographiée n’avait le droit qu’à une seule pose à chaque fois. A l’époque la pellicule revenait chère, pas le droit à l’erreur, d’où une mise en scène perfectionniste et soignée. Rien n’est laissé au hasard : position des mains, des pieds, de la tête. C’est Seydou le mécanicien de la photographie qui fait la composition avec une qualité de lumière toujours extraordinaire. En journée, il shoote à la lumière du jour dans la cour de sa concession avec un drap tendu sur le mur, et ce n’est qu’à la nuit tombée qu’il travaille à l’intérieur de son minuscule studio.

« Seydou Keïta aimait vraiment les gens, il portait une vraie attention humaine aux sujets qu’il photographiait, il choisissait avec eux la scénographie pour les rendre les plus beaux possibles. Il sublimait ses sujets.» nous explique Yves Aupetitallot.

« Les sujets photographiés portent le grand boubou vêtement traditionnel malien, les femmes sont en bazin, Seydou Keïta est un musulman pratiquant attaché à sa culture qui photographie aussi bien la tradition que la modernité. Certains sont habillés à l’occidentale, le stylo dans la pochette est un signe d’appartenance au Club de Paris à Bamako, c’est le club des zazous de Bamako composé de jeunes gens branchés et intellectuels, de jeunes fonctionnaires citadins qui travaillent pour l’administration coloniale. » commente le commissaire.

L’accessoire permettait d’amplifier ce que l’on voulait mettre en avant. Si l’on voulait apparaître moderne, il suffisait d’utiliser les accessoires de la modernité, si l’on voulait apparaître riche, il suffisait d’emprunter les accessoires de la richesse ! Tout cela avec la complicité amusée du grand Seydou. L’accessoire peut être un sac à main, un service à thé, une radio ou carrément la voiture personnelle du photographe.

Dans un cliché sans titre datant du 21 mai 1954, on aperçoit le reflet de Seydou Keïta dans l’aile de la Peugeot 203, debout avec son appareil à chambre sur pied. Cette voiture est sa plus grande fierté ! La preuve de sa reconnaissance sociale en tant que photographe. C’est un des rares bamakois à pouvoir s’offrir une voiture neuve à l’époque, grâce aux revenus du studio qui tourne à plein régime de jour comme de nuit avec en moyenne 40 clients par jour.
Sur ce même cliché, posée sur le capot de la Peugeot 203, une mystérieuse main d’homme en veste. Est-il lié aux deux femmes qui sont en train de se faire photographiées ? Attend-il à son tour de se faire tirer le portrait ? Cette présence masculine énigmatique, rappelle que la société malienne est une société patriarcale. C’est le fameux détail de génie dont parle Jean Pigozzi rencontré dans l’exposition : « Chaque photo est un peu différente même si on reconnaît le style Keïta. Chaque photo a un détail de génie ! »  

Vue de l'exposition de Seydou Keïta au Grand Palais
Vue de l’exposition de Seydou Keïta au Grand Palais

Vue de l'exposition de Seydou Keïta au Grand Palais
Vue de l’exposition de Seydou Keïta au Grand Palais

Vue de l'exposition de Seydou Keïta au Grand Palais
Vue de l’exposition de Seydou Keïta au Grand Palais

© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo François Doury
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo François Doury