Parcours du photographe Baudouin Mouanda

En 2007, nous rencontrons le photographe Brazzavillois Baudouin Mouanda. Nos lecteurs le connaissent pour avoir pu voir dans nos pages sa célèbre série sur la Sapologie qui l’a fait connaitre. Depuis Baudouin a continué son parcours comme photographe avec des sujets de société mais il s’est davantage investi comme acteur culturel de son pays le Congo en créant un grand espace culturel, Espace Pro-Culture. Retour sur ses projets à travers cette interview !

Bonjour Baudouin, notre dernière discussion sur Afrique in visu date de 2010. Cela remonte ! Peux- tu nous raconter ce qui s’est passé depuis tout ce temps ?
Bonjour Jeanne, évidemment il s’est passé beaucoup de temps depuis ma dernière rencontre avec Afrique in visu. Je suis ravi après tout ce temps, je ne suis pas resté immobile, je travaille, et cela s’explique par des projets photographiques: résidence, exposition dans des festivals et des prix que j’ai pu obtenir durant toute cette période. Et pour citer le plus récent, cela date de quelques jours, j’ai été élu photographe de l’année par un jury d’experts du monde de l’art en reconnaissance de mes travaux lors de la première édition des SINGULART awards qui avait pour thème le LIEN HUMAIN.

Tes deux projets phares à l’époque s’intéressaient aux Sapeurs et au Hip Hop à travers l’Afrique. Les poursuis-tu ? Qu’en est-il de ces projets (nouvelles images, expos,…)?
Le projet sur la sape a beaucoup évolué, à l’époque je travaillais à Brazzaville dans le fief même des sapeurs ça ne m’a pas empêché d’enchainer la même série : la SAPE « le Rêve d’aller et retour » en France. Avec le concours du programme du Regard de Grand Paris dont j’ai été lauréat de la bourse Atelier Medicis en 2017. D’ailleurs une exposition collective est prévue en juin. Pour ce qui est du projet Hip- hop, qui m’a permis de visiter plusieurs villes d’Afrique, il y a bien longtemps que je ne travaille plus sur ce projet. J’étais satisfait du résultat, après il faut savoir tourner la page. Aujourd’hui, je travaille sur d’autres sujets, par exemple la série Congolaise Dream, avec une robe de mariée qui voyage d’une ville à une autre.

Série Congolaise Dream © Baudouin Mouanda
Série Congolaise Dream © Baudouin Mouanda

Tes dernières séries traitent encore davantage de sujets sociaux avec un accent particulier sur l’écologie et les ressources naturelles
Oui, j’aime bien être proche du quotidien, traiter des sujets de l’environnement qui montrent certaines priorités dans différents secteurs. Par exemple, le sujet sur Les fantômes de corniche parle de l’électricité. Personnellement, avec cette série, j’interroge le public: on y voit des élèves entrain d’étudier dans la rue sous les lampadaires publics ou avec des lampes torches parce qu’il n’y a plus d’électricité . Il faut surtout évaluer les conséquences que cela peut provoquer comme la fuite des cerveaux, de certains jeunes après avoir fini leurs études à l’étranger. Et malheureusement quand ils rentrent pour monter une entreprise, cela ne fonctionne pas sans énergie . Ça ne donne pas l’envie de rester et c’est la même situation concernant l’apprivoisement d’eau potable. Comment peut- on vouloir ne pas fuir de ce pays?

Série Les fantômes de la corniche © Baudouin Mouanda
Série Les fantômes de la corniche © Baudouin Mouanda

Ta démarche et ta pratique photographique ont-elles évolués depuis toutes ces années ? Par exemple, continues -tu toujours le reportage ou te tournes-tu davantage vers la mise en scène ?
Ma démarche photographique d’auteur à fort caractère narratif revendique une approche documentaire, hautement humaine. Indépendant basé au Congo, je m’intéresse à l’homme dans son milieu. Je réalise des voyages des reportages au cours desquels je documente le quotidien peu conventionnel ou alternatif parfois en lien avec des questions identitaires et leurs représentations. Mon empreinte photographique engagée se situe à mi-chemin entre le photoreportage et la photographie d’auteur. Bien que cette démarche demande beaucoup de temps et d’empathie; j’estime que pour documenter la vie de l’autre, il faut avant tout prendre le temps de le connaître.
Les années passent vite et je suis entrain de passer à autre chose, je ne veux pas dire par là tourner la page à la photographie même si je suis derrière un grand projet. Je continue aussi à réaliser des reportages même si ces deux dernières années nous avons tous été freinés par la crise du covid 19. En parlant de démarche, j’ai aussi évolué vers une pratique plus mise en scène. J’ai fait poser la population pour questionner le changement climatique et les phénomènes naturels que le monde rencontre pour ma dernière série « Le Ciel de saison ».

Peux-tu nous parler de ce projet mais aussi de la manière dont tu le réalise techniquement ?
La série Ciel de saison est née des intempéries que connaissent ces dernières années l’Afrique, dues au changement climatique. Le Congo, n’étant pas épargné par ces faits, je voulais réaliser un projet pour attirer l’attention dans les quartiers où règne le désarroi, où des familles perdent leur maison lors des érosions dues aux eaux de pluies. Je devais me lever tôt le matin ou parfois la nuit sous la pluie pour documenter leur quotidien.
J’ai fait ce premier travail de manière documentaire, cela ne suffisait pas… c’était du déjà vu. Et je ai commencé à discuter avec des familles, s’ils pouvaient poser dans le sous-sol avec leur bien qu’ils devraient apporté afin de garder le même décor à l’identique de leur maison, leur commerce, voir même d’un lit d’hôpital , il fallait reconstitué le décor… Au départ c’était compliqué de convaincre, puis avec l’ennui du confinement du Covid, et en leur montrant, les premières images, ils ont adhéré aux projets. Il a fallu de la logistique pour changer les décors , les peintures et cela prenait du temps de passer d’une scène à une autre!

Série « Le Ciel de saison » © Baudouin Mouanda
Série « Le Ciel de saison » © Baudouin Mouanda
Série « Le Ciel de saison » © Baudouin Mouanda
Série « Le Ciel de saison » © Baudouin Mouanda

Tu n’es plus désormais dans le collectif Génération Elili que tu avais fondé. L’idée d’un nouveau collectif est elle prévue ?
Nous étions cinq co-fondateurs. Cela a été une bonne expérience d’avoir coordonné le collectif pendant huit bonnes années, mais il y a des moments où il faut savoir passer la main aux autres. J’ai démissionné de la coordination . C ’était important pour moi, on ne force pas les choses. J’ai un grand projet dont je parlerai plus tard , il fallait prendre du recul, et y penser calmement pour pouvoir le réaliser.

Continues-tu à enseigner et former des jeunes photographes comme tu le faisais à l’époque ?
Je n’ai pas eu la chance d’avoir des grands frères qui puissent m’accompagner dans la pratique de la photographie en dehors de mon père. A l’époque j’étais encore très jeune et à 13ans, il m’a appris les premières lignes conductrices: d’abord en me parlant de lentille convergente, puis en partageant des leçons de physique . Puis je suis tombé sur son appareil qu’il cachait au fond du tiroir… aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir atteint un niveau que je n’avais pas il y a quelques années. Ça serait égoïste de ma part de ne pas partager mon savoir avec de jeunes photographes qui d’ailleurs qui suivent de très près mes projets. En plus vouloir former les autres permet d’aller faire d’autres recherches que de répéter le même cours, c’est là que je dis photographier, c’est être romancier de l’esprit. Et cela pousse à faire naitre de nouveaux talents, des nouvelles idées créatives.

Tu es le fondateur de Class pro culture. Peux-tu nous raconter la genèse du projet et Quelle est l’ambition de ce lieu ?
Vous savez l’histoire d’un pays passe par sa culture, par la reconnaissance de la population à en témoigner, à l’alimenter, à la connaitre. A Brazzaville, en république du Congo, il existe plusieurs domaines culturels pour lesquels le pays a un rayonnement international : la rumba dans la musique, la sapologie dans la mode vestimentaire, la peinture et la photographie dans les arts visuels et le théâtre dans les arts de scène. Tous ces arts méritent d’être mis en valeur, dans le but de développement du capital culturel des Congolais et de favoriser l’émergence de nouveaux talents. En s’inspirant des banlieues en France, à l‘époque où j’étais étudiant car j’avais bénéficié de la bourse d’Egide de l’ambassade France. Il fallait faire un choix, entre la France et le Congo. J’avais un projet qui s‘est développé au fil des années, favoriser l’accès de la culturel des populations vivant en périphérique de Brazzaville afin de promouvoir un mieux vivre ensemble. Je suis content que le projet soit en bonne voie et fier de dynamiser les quartiers périphériques par le billet des rencontres culturelles dont le projet est en cours.

Comment se positionnent les Institutions à Brazzaville et les politiques au sujet de ce projet ?
Vous savez les institutions ne peuvent pas tout faire, ils attendent aussi de nous qu’on vienne leur faire de proposition. Elles vont nous dire qu’elles ont beaucoup de dossier a traiter, que le coût est difficile à identifier et puis quels artistes soutenir … On les voient rarement sur le terrain. Alors nous nous battons de sorte que nous puissions travailler ensemble. Seul on ne peut pas arriver au terminus.
Pour le projet ClassPro-Culture, je préfère attendre que je sois suffisamment avancé pour ne pas être pris pour un aventurier comme certain l’on cru au départ. C’est donc une initiative personnelle où je voulais favoriser l’accès à la culture des populations vivant en périphérique de Brazzaville. Aujourd’hui, lorsqu’on qu’on voit les travaux, de ce qui a déjà été fait, on voit le sérieux du projet. Et si tout se passe comme prévu avec la campagne de crowfunding que je viens de lancer, cette collecte de fonds servira à construire la salle qui abritera les ateliers d’ici la rentrée prochaine, j’espère que nos amis suivront l’appel. Voici le lien de la collecte: cliquez ici

Comment sera constituée l’équipe du lieu ? Quel en sera le programme ?
L’équipe sera constituée des hommes de cultures ayant de bonne connaissance dans le domaine, un coordonnateur de projet, un administrateur, un assistant logistique, un assistant administrative, un gardien, un agent d’entretien. Et une programmation pluridisciplinaire dans le but de produire des événements, expositions et publications. Elle sensibilisera et apportera une médiation par les arts visuels. La structure associe les photographes et artistes à d’autres professionnels de l’art, au niveau national, et régional ou international : galeries, curateurs, conservateurs, éditeurs, historiens d’art, critiques d’art, médias, mécènes.

Quels sont tes prochains projets personnels en tant que photographe ?
J’ai plusieurs projets en cours ce mois: je commence avec une résidence aux Rencontres de la jeune photographie internationale à Niort . En mai je suis invité à Mans pour une exposition de ma série Fantôme de corniche, en juin une exposition de la série SAPE « le rêve d’aller retour » issue du projet du regard du Grand Paris avec les Atelier Medicis. En septembre je suis attendu en Zurich en Suisse au festival OPEN YOUR EYES, dédié aux 17 objectifs du développement durable des Nations Unies. Je dois commencer un nouveau projet de recherche photographique d’ici peu de temps qui portera le regard sur la question de l’eau en Afrique dont le titre du projet est « la Sueur du Robinet ».

Et en tant qu’acteur culturel ?
En tant qu’acteur culture, je veux donner une nouvelle façon de voir les choses. En donnant le sourire aux populations vivant en zone urbaine grâce au projet ClassPro qui sera, je l’espère, un magnifique lieu de culture.