Katembo et Barry : des artistes impliqués dans leur monde

La 9e édition des Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie, sera présente en Belgique cet été dans le cadre de Summer of Photography 2012, biennale internationale organisée par le Palais des Beaux-Arts et dédiée à la photographie contemporaine. En collaboration avec différentes institutions belges et européennes, son programme cherche à favoriser les échanges culturels entre les États membres européens et au-delà, la photographie évoluant dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler un « contexte mondial ». C’est donc dans ce cadre que le MRAC (le Musée Royal de l’Afrique Centrale), à la veille de sa fermeture pour un vaste chantier de rénovation, présente deux monographies issues des dernières Rencontres : Un Regard… de Kiripi Katembo, photographe et vidéaste congolais, et Pêcheurs de nuit d’Abdoulaye Barry, photographe tchadien. Comprenons donc d’emblée cette exposition comme une manière d’annoncer les axes autour desquels le MRAC entamera son projet de « modernisation », à savoir l’ouverture aux formes contemporaines de l’art, ainsi qu’une réflexion critique sur les collections et le statut du musée.

Exposition dans les rues des photos de Kiripi Katembo
Exposition dans les rues des photos de Kiripi Katembo

Contemporaines et critiques, les photographies de Katembo et Barry le sont en effet sous plusieurs aspects. Notamment, par la manière détournée dont ces deux séries témoignent d’un contexte écologique problématique (rappelons que la thématique de la biennale de Bamako était « Pour un monde durable »), et par la démarche « sociale » qui a accompagné leur réalisation. Katembo et Barry se rejoignent en effet par la proximité qu’ils cherchent à créer avec le sujet, son environnement mais aussi les hommes et les femmes qui l’animent.

Kiripi Katembo, avec Un regard…, traite de la problématique des inondations dans les rues de Kinshasa (plus particulièrement dans la commune de Lingwala) et de l’insalubrité urbaine qu’elles peuvent causer. Loin d’un seul document-témoin, le photographe cherche à proposer une lecture poétique de cette situation, en détournant le regard vers l’eau et les reflets des bâtiments, des détritus et des hommes qui évoluent dans ce milieu. Ces images étant ensuite retournées à 180°C, l’environnement est doublement « sublimé », rendant le réel plus attirant mais aussi, peut-être, plus choquant. Cette esthétisation d’une misère écologique et sociale pourrait néanmoins poser problème si elle ne s’accompagnait pas d’une démarche plus impliquée de la part de l’artiste. C’est pourquoi, sur fond de critique de l’institution artistique et de ses dimensions de plus en plus marchandes, l’artiste refuse de laisser ses images enfermées dans une salle d’exposition, et cherche à les rendre véritablement publiques. Ainsi, les clichés présentés dans le cadre de la biennale ne sont qu’une première étape de sa démarche. Une fois développées, Katembo revient en effet sur les lieux de ses prises de vue pour les exposer aux habitants du quartier, et cela d’une façon particulière : les images sont tenues en mains, entre autre par l’artiste, et à la hauteur du visage. Se passant ainsi des conditions traditionnelles d’exposition, les images s’intègrent au paysage précaire qu’elles dénoncent dans le même temps. « Effacé » derrière ses clichés, l’artiste se tient à l’écoute des réactions des passants, de la manière dont ils s’approprient et développent, au moyen de l’art, une autre lecture de leur milieu de vie.
C’est donc dans ce dispositif particulier d’exposition qu’un regard, celui du photographe, rencontre celui de son sujet – rencontre qui est à son tour photographiée et filmée, et qui formera le deuxième volet de l’œuvre à considérer comme dépassant le seul travail photographique.

naitre © Kiripi Katembo
naitre © Kiripi Katembo

devenir © Kiripi Katembo
devenir © Kiripi Katembo

La série Pêcheurs de nuit d’Abdoulaye Barry est née d’un premier projet mené avec Bruno Boudjelal sur le Lac Tchad (Le lac Tchad aux deux visages), au cours duquel il prend conscience des problématiques écologiques qui menacent le lac (pollution et baisse du niveau des eaux), mettant également en péril les trente millions de personnes qui vivent de ses ressources. Si Barry a choisi de se concentrer sur les pêcheurs de nuit, ceux qui travaillent encore avec des techniques ancestrales de pêche, c’est sans doute pour appuyer le propos sur la fragilité de cet environnement et des populations qui en dépendent. Fidèle à sa démarche de réelle immersion dans le milieu qu’il investigue, Barry a accompagné ces pêcheurs dans leur travail, partageant ainsi leur condition, leurs histoires, leurs craintes. Ce rapport très subjectif, voire même parfois autobiographique à son sujet, est essentiel à sa démarche. C’est dans cette proximité créée cette fois en amont de ses prises de vue que mûrit, nous dit-il, son regard sur son sujet. L’image vient saisir, ponctuellement, des instants partagés. C’est ce que nous relatent ces portraits, ces focus sur les objets qui tissent la relation, cette obscurité et ces moments de lumière « aberrante ». La série Pêcheurs de nuit demande d’ailleurs d’être exposée dans le noir, ce qui, au MRAC – on le regrettera un peu –, n’a pu être réalisé qu’au moyen de la projection des images à l’intérieur d’une boîte noire.

Belle performance, in fine, car c’est peut-être au travers de ces intimités que le spectateur en vient à son tour à partager l’environnement de ces pêcheurs et les menaces qui pèsent sur eux, là ou pourtant, au premier regard, le public pourrait ne rien en percevoir…
Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry
Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry

Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry
Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry

Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry
Pêcheurs de nuit © Abdoulaye Barry

« Apprendre à cohabiter dans des territoires partagés résument en quelque sorte la question de la durabilité » disent Michket Krifa et Laura Serani dans leur présentation de la biennale. Un regard… et Pêcheurs de nuit ne traitent pas à distance cette durabilité, et il s’agit en ce sens moins d’une thématique plaquée a posteriori sur leur travail que de ce qui décrit la démarche en elle-même. Et c’est tant mieux ; car Katembo et Barry sont avant tout des artistes impliqués dans leur monde.