La liberté au bout des ondes

Radio 6 Tunis est le premier projet de radio libre en Tunisie. Sa première émission fut diffusée sur la toile le 10 décembre 2007, date de la Journée Mondiale des Droits de l’homme. Dans une Tunisie muselée depuis vingt ans, plus qu’un symbole, c’est alors un acte militant.

À l’origine de cette initiative, la rencontre de deux générations confrontées à une même censure. En 1987, au lendemain de l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, Salah Fourti est le premier à déposer une demande d’ouverture d’une radio privée, Radio 7. Sa requête est toujours restée sans suites. Tous les recours ayant été épuisés il décide, en 2005, de créer le Syndicat Tunisien des Radios Libres destiné à regrouper les radios qui n’ont pas été autorisées à émettre. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Nozha Ben Mohamed, alors étudiante en journalisme. Ensemble ils réfléchissent à une solution pour contourner la censure et créer leur propre radio. Internet s’impose comme la seule solution. Ils constituent une petite équipe de jeunes journalistes qui partent se former pendant quelques jours au Maroc lors d’ateliers organisés par l’association mondiale des radios communautaires AMARC. « On s’est rendu compte que c’était vraiment possible de diffuser sur le web avec des petits moyens », précise Nozha. À leurs frais ils achètent micros et ordinateurs et téléchargent des logiciels de montage. Et Radio 6 est lancée quelques mois plus tard. Officiellement le nom est choisi en raison du nombre des membres de l’équipe, officieusement, c’est « l’anti-7 », le chiffre fétiche du dictateur… Le programme est enregistré le samedi et diffusé en boucle toute la semaine. Au départ le ton se veut modéré explique Nozha : « on ne voulait pas s’attaquer frontalement au pouvoir. Notre but était d’amener l’auditeur à se rendre compte par lui-même que Ben Ali était un dictateur, sans jamais prononcer nous-mêmes le mot ». Tous les sujets sont abordés, y compris celui de l’homosexualité, et la parole est donnée à ceux qui se l’étaient vue confisquée. Mais, en 2009, en pleine période électorale, la police politique débarque dans leurs locaux du centre-ville et confisque tout leur matériel. L’équipe déménage et se remet à émettre sur un ton bien plus agressif.

Aujourd’hui, malgré la fuite de Ben Ali, la petite web radio attend toujours l’autorisation d’émettre. La libéralisation des ondes tardant (pour des raisons techniques dit-on…), elle a décidé de s’en emparer.

C’est au 8ème étage d’un immeuble des années 70, construit sur les hauteurs d’un quartier bourgeois de la capitale, que s’est installée l’équipe de Radio 6 Tunis. Non par snobisme mais pour des raisons techniques : l’émetteur, acheté au début des années 90 en France par Salah et rapporté par pièces détachées en plusieurs voyages, est bien plus efficace placé là.

Derrière une lourde porte blindée, qui rappelle les années de clandestinité, se trouve un appartement d’une petite centaine de mètres carrés entièrement transformé. Alors que la pièce principale est dédiée aux émissions diffusées en direct, deux autres servent aux enregistrements et aux journalistes. Ici, à part le matériel et le jingle (qui est celui d’une radio du Nord de la France) tout est « fait main ». La régie, par exemple, a été installée dans une cabine insonorisée avec des cartons de liège. Derrière la vitre et sa table de mixage, M. le technicien, qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons professionnelles, assiste Ymen qui présente le journal de 18H30. Désormais le programme est quotidien mais n’est diffusé que quelques heures par jour. Nozha anime une émission politique trois fois par semaines. Elle s’est donnée pour but d’interviewer les représentants de tous les partis politiques. Un travail que ne font toujours pas les médias traditionnels selon elle. Sa motivation est la même qu’au premier jour. À l’instar du reste de l’équipe, c’est bénévolement qu’elle travaille pour Radio 6. Après la révolution, elle s’est pourtant vue proposer de travailler pour une grande radio privée. Une offre qu’elle a refusé non sans une certaine agressivité expliquant à celui qui voulait la débaucher que c’était pour voir la fin de patrons de presse comme lui qu’elle avait travaillé jusqu’ici. « Radio 6 c’est mon projet. Ce n’est qu’ici que je peux exercer mon métier de journaliste. Je suis libre de dire ce que je veux ».

Texte par May Vallaud

May Vallaud, journaliste freelance, a décidé de s’installer en Tunisie jusqu’aux élections. Elle prépare une publication sur la jeunesse tunisienne, les nouveaux  médias et la révolution.

© Augustin Le Gall
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Portrait de Nozha Ben Mohamed, journaliste et co-fondatrice de Radio 6 avec cinq autres personnes dont Salah Fourti, l’actuel directeur.

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Après notre rencontre, nous partons en taxi dans les locaux de Radio 6. Nozha anime aujourd’hui son émission politique. La radio émet toujours sans autorisation officielle. Mais l’équipe a décidé de prendre les devants pour continuer d’informer en installant l’antenne ramenée au cours de plusieurs années par pièces détachées.

© Augustin Le Gall
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Les locaux de radio 6 sont situés dans un immeuble d’un quartier bourgeois qui surplombe la capitale. L’endroit est stratégique car il permet à l’antenne émetteur de pouvoir diffuser sur l’ensemble du Grand Tunis.

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Malgré qu’elle fut interdite pendant de nombreuses années, radio 6 est très bien équipé. Ordinateurs, micros, bancs de montage, régie technique nous font oublié que nous sommes dans un appartement. La régie fait face au salon transformé en studio pour les émissions en direct et dont l’entrée fut, jusqu’à encore peu de temps, dissimulée par une bibliothèque.

© Augustin Le Gall
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Salah Fourti (au centre) directeur et co-fondateur de radio 6. En 2005, il créée le Syndicat Tunisien des Radios Libres qui regroupe les radios qui n’ont pas l’autorisation d’émettre sous le régime de Ben Ali.

© Augustin Le Gall
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Dans le cadre de son émission politique où elle souhaite présenter les différents et nombreux partis politiques, Nozha Interview le porte parole du Parti Communiste des Ouvrier Tunisiens, Hamma Hammami, qui fut interdit sous le régime Ben Ali. Il vécu en clandestinité entre 1998 et 2002 pour ses idées politiques.

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Interview en direct orchestrée par Nozah au cours de son émission politique. Aujourd’hui, elle reçoit les représentants du syndicat des banques agricoles qui vient de se créer récemment.

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Pendant le flash, Ymen lit ses notes liées à l’actualité du jour, le report des élections de l’Assemblée constituante au 16 octobre 2011.

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