Studio Pellosh – Interview de Maurice Pellosh et Emmanuèle Béthery

Le 17 décembre 1973 Maurice Bidilou ouvre le Studio Pellosh à Pointe Noire au Congo Brazzaville. Jusqu’au milieu des années 90, Pellosh voit défiler dans son studio, toutes les strates de la société congolaises : les sapeurs bien sur mais aussi les familles, les amoureux, les travailleurs … Contemporain de ses confrères, Jean Depara, Malick Sidibé ou Sakaly, ses images racontent un pan de l’histoire du portrait de la capitale économique du Congo.

Il revient dans cette interview sur l’histoire de ce studio mythique de Pointe Noire: création, matériel, contexte de l’époque jusqu’à sa rencontre il y a quelques années avec Emmanuèle Béthery qui s’attache aujourd’hui à numériser son travail et à l’exposer à travers le monde.

Maurice Pellosh:Pour commencer, comment en êtes-vous venu à la photographie ?
Je suis né à Bouansa en 1951 et j’y ai grandi jusqu’à mes 17 ans. Puis j’ai rejoint mon frère à Pointe Noire. J’ai fait quelques petits boulots puis mon oncle m’a incité à apprendre la photographie. C’est comme ça que j’ai commencé mon apprentissage en 1971 au Studio Janot Père. Contre une dame jeanne de vin, un régime de bananes et 20 000 FCFA, j’ai été formé pendant 20 mois au métier de photographe portraitiste ; prise de vue , lumière et tirage.
Le sobriquet de Pellosh , je l’ai choisi quand j’avais 14 ans bien avant de devenir photographe. Je trouvais que ce mot sonnait bien et était agréable à écrire. On avait tous des sobriquets, c’était la mode !

Maurice Pellosh:Quel était le contexte culturel au Congo Brazzaville à l’époque ?
La ville était animée, il y avait un cinéma, Le Rex (devenu une église, que décrit Alain Mabanckou), mon studio était dans ce quartier du grand Marché. Il y avait des clubs ou passaient des groupes de musique, principalement le groupe Africa Mod Matata.
Quand j’ai ouvert mon studio le 17 décembre 1973, il y avait déjà quelques studios photos qui ne sont plus de ce monde : Studio Photo Pelé, Studio Photo Yves, Studio Photo A.Sept et le Studio Photo B Luc Magloire.

Maurice Pellosh devant son studio

Maurice Pellosh: Dès 1973, vous ouvrez votre studio, studio Pellosh à Pointe noire, qui est le premier public dans les années 70 ?
Au Congo, la Sape qui est à la fois le vêtement et l’acronyme de la Société des Ambianceurs et des Personnes légantes, est une vielle passion. Dans les années 70, la Sape est en plein boum et la clientèle ponténégrine aspire à des clichés-souvenirs très étudiés que l’on destine à ses proches et dont on peut commander des agrandissements.
Des voisins, des familles quand il y avait des enfants qui naissaient, des couples d’amoureux et des jeunes hommes sapeurs pour offrir les tirages à leur petite copine. Les gens se faisaient beaux et dans le studio, je finissais de les préparer. Il y avait des habits à disposition et des accessoires ; sacs à main, chapeaux, mobylettes, lunettes. Dès qu’ils voulaient montrer un évènement, ils venaient me voir. Je prenais des photos N et B et je m’occupais des tirages. J’allais aussi dans les soirées et dans les clubs de danse.
Puis petit à petit, les produits et le papier sont venus à manquer et au début des années 80, j‘ai fait des photos couleurs. J’envoyais les films à développer en France dans les labos Mourette S.A et PhotoRush. Les photos tirées revenaient en 15 ou 20 jours. En 1985, le 1er labo Couleur Yvon Riou, a ouvert ses portes à Pointe Noire. Puis peu à peu le numérique a tout remplacé.

Pleins feux ! © Studio Pellosh
Les amoureux, 1976 © Studio Pellosh
Achille et Alphonse © Studio Pellosh

Maurice Pellosh:Vous poursuivez jusqu’à la fin des années 90, le public a-t-il évolué ?
C’étaient toujours des bandes de copains sapeurs et copines, des enfants, des familles. Il y a eu aussi plus de photos d’identité car les gens ont commencé à avoir des papiers.

Maurice Pellosh: Et votre pratique, parlez nous de l’évolution technique, appareil, pellicule N&B , couleur ?
J’ai commencé avec un appareil Yashica mat-124 G que j’avais commandé en France, des pellicules 6×6 format 120 de 12 et 24 poses. Puis sont arrivés des appareils des films 24×36 de 12, 24 et 36 poses, N et B et couleurs. Les marques étaient Yashica, Minolta et Nikon. C’est comme ça, que nous avons mis à l’écart les appareils 6×6. La qualité n’est plus la même, les photos argentiques étaient de meilleur qualité que les photos numériques

Maurice Pellosh: Quelques années plus tard, quand on revient sur l’ensemble de vos images, quels sont les sujets ou communautés qui se distinguent ?
J’aime l’idée que tout le monde pouvait venir à mon studio. Les prix étaient bas et fixés par l’union des photographes congolais (l’UNEAC, union national écrivains et arts congolais). Les gens choisissaient des petits tirages (9×13 ou 13×18). Les photos étaient recadrées même si les négatifs étaient 6×6.

Maurice Pellosh: Avec Emmanuèle Béthery, vous contactez les anciens modèles de vos photographies, quelles sont leurs réactions ? Racontez nous une image…
Emmanuèle a commencé à rechercher des gens. Ils ont tous entre 50 et 70 ans maintenant et certains ne sont plus de ce monde. Il y a un ancien client Bernard Bioka qui à la suite d’un contact d’Emmanuèle , est venu me rendre visite car il habite encore à Pointe Noire. Avec ses 2 amis, Dieudonné et Romuald, ils venaient régulièrement au Studio. Ils offraient les tirages à leurs petites copines. Ils n’ont plus aucun tirage chez eux ! ça m’a fait plaisir de le rencontrer.
C’est la photographie que l’on voit au début de cette interview, Bernard Bioka est à droite sur la photo, sa cravate était rouge !

Les 2 soeurs © Studio Pellosh
Antoinette © Studio Pellosh
Les communiantes, 1975 © Studio Pellosh

Maurice Pellosh: Aujourd’hui , plusieurs photographes de studio comme Malick Sidibé, Jean Depara, Sakaly ont une grande reconnaissance, qu’en est-il pour vous sur place et à l’étranger?
A Pointe Noire, je ne travaille plus à part de temps en temps des photos d’identité. Je n’ai plus de studio, c’est chez moi et tout le monde à un appareil téléphone qui prend des photos ! A part mes amis à qui j’ai fait part du travail d’Emmanuèle avec mes photos, plus personne ne me connait.
Je commence à être connu en France, en Europe et aussi aux USA. Beaucoup de collectionneurs afro américains s’intéressent à mes photos. Les nouveaux tirages argentiques faits à Paris format carré sont très beaux. Il y a aussi des collectionneurs africains d’Art qui commencent à acheter des tirages. Emmanuèle prépare, avec mon accord, des prochaines expositions et avec mon compte Instagram, les personnes intéressées de toute la planète commandent des photos. Je n’ai pas Instagram mais Emmanuèle m’explique ce qu’elle fait. Elle m’envoie de l’argent tous les mois par un ami commun qui a un compte à la banque et internet.

Maurice Pellosh: Votre studio existe-il encore ou a-t-il repris ? Continuez vous la photographie ?
Mon studio, dans le quartier du Rex (devenu une église) et de la Grande mosquée du Grand Marché a été repris par un coiffeur. C’est encore un quartier très animé en bord de l’ancienne ville coloniale.

Maurice Pellosh: Où en êtes vous de la numérisation de votre fond d’archives et pouvez vous nous raconter, de combien d’images, types de sujets il se constitue ?
C’est Emmanuèle qui s’occupe d’archiver tous mes négatifs, et elle n’a pas finit car il y en a beaucoup.
A Pointe Noire, chez moi, les conditions de conservation n’étaient pas bonnes et beaucoup de négatifs ont disparu à cause de l’humidité, des termites et des souris ! Il était temps de faire différemment.
Les photographes comme moi gardaient les négatifs dans leur studio pour que les clients reviennent faire des tirages quand ils voulaient.

Maurice Pellosh: Que s’est il passé pendant la guerre civile (1997/2000) pour vous à Pointe Noire mais aussi pour vos confrères de Brazzaville ?
La guerre civile n’est pas arrivée jusqu’à Pointe-Noire, le maire et le préfet avait dit non à la guerre civile. Elle a été à Brazzaville, la région du Pool, de Bouenza et du Niari. A cette époque, j’avais prévu d’installer le Studio Pellosh à Brazzaville mais j’ai renoncé à cause de la guerre. Les studios photo de Brazza ont dû stopper l’activité et leur studio a souvent brulé, les négatifs et le matériel aussi.

Maurice Pellosh: Quels sont les projets d’exposition ou que vous avez ?
Malheureusement, l’exposition à l’Institut français de Pointe Noire a été repoussée 2 fois à cause du Covid. C’est une exposition où j’aurais pu être présent, et on avait prévu de reconstituer mon studio avec des vieux pagnes. J’aurais pris en photo les visiteurs avec des accessoires de l’époque.
Emmanuèle a prévu une exposition à l’alliance française de Dar es Saalam en octobre 2022, je suis d’accord car c’est bien que mes photos soient exposées sur le continent africain. Comme il y a beaucoup d’amateurs et collectionneurs aux états unis, ça serait bien d’exposer à New York. Emmanuèle y pense. On voudrait faire aussi un film documentaire où ensemble, on rechercherait des anciens clients dans Pointe Noire et peut être Brazzaville pour qu’ils racontent cette époque. C’est une époque qui était joyeuse et tout le monde était optimiste pour l’avenir. Un livre aussi avec les meilleures photos.
Il y a beaucoup à faire car il y a à peine 2 ans, personne ne connaissait mon nom ! Je suis heureux d’être encore en vie.

Vives les vacances © Studio Pellosh
Clopes et chapeaux © Studio Pellosh
Toujours élégantes, 1977 © Studio Pellosh

Emmanuèle Bethery: Comment avez-vous rencontrer Maurice Bidilou ?
J’ai rencontré Maurice à Pointe Noire en 2018 via un ami commun. Je travaillais avec des peintres sur place et de fil en aiguille et m’intéressant au passé photographique de la ville, je me suis rendue chez Maurice. A cette époque, Maurice ne m’a montré uniquement des tirages d’époque que les clients n’étaient pas venus chercher. Je suis repartie en France, obsédée par ces tirages. Je n’avais qu’une idée en tête; retourner chez Maurice et explorer avec lui les dizaines de boites en carton Kodak contenant des milliers de négatifs ! Notre collaboration a commencé de façon « officielle » fin 2019. Totalement inconnu, depuis, je le hisse au rang d’artiste de renom malgré la crise du Covid qui a attaqué de plein fouet tous nos projets. Pourtant, Une exposition parisienne en juin 2021 a connu un grand succès et un compte Instagram dynamique génère des commandes de tirages tous les mois et des contacts enrichissants avec des professionnels et des amateurs avertis.
Avec Maurice, nous avons retenu les années 1970/80, représentatives d’une société joyeuse et empreinte d’optimisme, une période bouillonnante de l’indépendance acquise. Des années qui lui sont chères ; ce sont ses débuts et une époque où le studio ne désemplissait pas. Très sollicité, le soir, Maurice arpentait bars, dancings et concerts et se mêle à la jeunesse éprise de liberté. Ces clichés constituent un témoignage exceptionnel de ce que fut la société congolaise après la colonisation et révèlent la patte unique et sensible d’un photographe portraitiste doté d’un regard bienveillant.
Je souhaite promouvoir Maurice en le positionnant comme l’un des plus grands photographe portraitiste africain. Le labo N&B que j’ai choisi, Stéphane Cormier, assure des tirages argentiques de collection. Les tirages sont numérotés, limités, légendés et gaufrés. (Et bien sûr 2 certificats d’authenticité sont fournis dont un signé par Maurice).
Maurice commence tout juste à accepter d’être considéré comme un photographe talentueux. Pour lui, il faisait « juste correctement son travail ». Il est encore incrédule et ne comprend pas toujours cet engouement dont il fait l’objet, lui et ses merveilleux clichés. Je souhaite qu’il puisse profiter encore longtemps de cette reconnaissance tardive.