Regards posés. Hammams de la médina de Tunis

L’association L’Mdina Wel Rabtine, actions citoyennes en médina, basée dans la vieille ville de Tunis est à l’initiative d’un appel à projet photographique inédit prenant pour sujet original : les hammams historiques de la médina.
 » Notre association a vu le jour un mois après la Révolution, les associations en Tunisie étaient interdites avant. Nous sommes une association de voisins, d’amis, tous habitants de la médina, nous commençons tout juste à pratiquer notre citoyenneté. » explique Sondos Belhassen, présidente de l’association, à l’occasion du vernissage de l’exposition photographique Regards posés. Hammams de la médina de Tunis à l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) à Paris, évènement ouvrant le cycle TunICIe, semestre culturel où la Tunisie sera à l’honneur à l’ICI.

60 candidatures reçues. 19 sélectionnées pour participer à une résidence de six mois préalable à cette exposition, en partenariat avec la Maison de l’image, l’Institut français de Tunisie et l’Ambassade de Suisse en Tunisie.
 » C’est un travail inédit car ce sont les premières photographies de Hammams en Tunisie. Bien sûr avant cela il y a eu le travail de Pascal Meunier sur les hammams du Caire, mais en Tunisie c’est une première. C’est la première banque d’images rassemblant plus de 400 clichés, c’est une documentation merveilleuse pour les historiens et les chercheurs. » s’enthousiasme Sondos Belhassen, présidente de l’association à l’initiative de cette très belle exposition photographique présentée pour la première fois hors de Tunisie.

Les 19 photographes ont du gagner la confiance des propriétaires des hammams de la médina pour pénétrer ces lieux en voie de disparition afin de rencontrer la clientèle et les personnes qui y travaillent. Les énormes clés photographiées par Aziz Tnani, illustrent parfaitement toute la difficulté d’accès à ces lieux secrets de l’intime.

© Aziz Tnani
© Aziz Tnani

 » C’est un regard qui se pose sur un patrimoine en péril. Un regard contemporain et extérieur puisque tous les artistes ne sont pas tunisiens. Un regard universel loin de la vision carte postale. Un regard artistique certes mais sans fioriture ni tricherie. Il était essentiel de ne pas tomber dans un représentation orientaliste. «  affirme Sondos Belhassen, présidente de l’association.

Pas de fioriture ni de tricherie dans les clichés de Marianne Catzaras qui a travaillé au Hammam Sidi Rassas. Elle immortalise avec brio la décrépitude de ce hammam laissé à l’abandon depuis 4 ans, gentiment ouvert par le gardien pour l’occasion.

Le cadrage serré renforce l’impression d’enfermement. Il y a bien une échelle posée au sol mais aucune issue de secours. La perte de la notion du temps est perturbante, des journaux jonchent le sol, les traces du temps se lisent sur les murs moisis par les années fastes de vapeurs nébuleuses.
 » J’aime travailler sur ce qui aveugle. La lumière est mystique, presque transcendantale. On sent la présence de l’eau dans ce lieu souterrain de la mémoire, une certaine présence humaine aussi presque secrète. L’obscurité, la lumière, la présence, l’absence sont des thématiques récurrentes dans mon travail. «  nous confie l’artiste greco-tunisienne Marianne Catzaras lors du vernissage à l’ICI.

© Marianne Catzaras
© Marianne Catzaras

Plongée dans l’intime des clientes et de leurs sceaux où chacune apprête ses effets personnels dans les clichés de Ness Cheikh Ali au Hammam Zitouni. Les plus coquettes ne se satisfont pas de la contenance des sceaux, préférant transporter des lourdes valises de beauté pleine de produits photographiées par Anna Puig Rosado au Hammam Bou Sandel. Ce travail documentaire de l’intime informe sur les pratiques et les rituels qui évoluent avec le temps. Autrefois les hammams fournissaient le nécessaire, aujourd’hui il faut apporter son attirail.

© Ness Cheikh
© Ness Cheikh

Les pratiques ont changé mais les hammams demeurent des lieux intergénérationnels où se croisent des corps d’hommes photographiés par Mohamed Amine Abassi, Sophia Baraket, Chehine Dhahak, Pol Guilard, Yassine Hakimi, Arthur Perset, et Jacques Pion, et des corps de femmes sublimés par Aglaé Bory dans un travail presque pictural dont la peau laiteuse des sujets évoque les odalisques d’Ingres ou les femmes au bain de Delacroix.

© Aglae Bory
© Aglae Bory

Corps masculins, corps féminins se mêlent à des silhouettes d’enfants qui selon sont avec les femmes ou les hommes. Traditionnellement c’est la caissière qui tranche cette question cruciale et décide du sort réservé aux petits garçons.

Max Jacot hammam Eddhab
Max Jacot hammam Eddhab

Rania Douraï s’intéresse aux invisibles, à tous ceux qui prennent soin des autres, sans jamais que l’on prenne soin d’eux. Dans un portrait d’un des masseurs, on découvre non sans émotion son tatouage sur lequel on peut lire « Je suis seul et toujours seul. »

Dans un travail à la fois documentaire et sensible elle rend hommage à tous ces métiers oubliés, souvent dénigrés : coiffeurs, barbiers, masseurs, laveurs … à tous ces ouvriers acharnés du bien être ! Elle se fait la confidente des anecdotes de ces travailleurs et découvrent des personnalités exceptionnellement attachantes, témoins historiques et gardiens éternels de ces lieux de plus en plus rares.

 » Alors que les hammams de la Médina disparaissent, et avec eux un ensemble de rites sociaux, de pratiques, de croyances, de professions, l’exposition nous interroge sur ces lieux, sur les mémoires qui les habitent, la société qui les voit disparaître. » déclare Jamel Oubechou, président de l’ICI lors de son discours inaugural.

Rappelons que cette exposition s’inscrit dans le cadre d’un projet de mobilisation citoyenne pour la sauvegarde des bains historiques de la ville de Tunis.
Zoom documentaire, artistique, anthropologique, sociologique sur ce patrimoine tunisien en péril grâce au médium de la photographie.
« Accessible, le choix du médium de la photo était une évidence car il permet de sensibiliser de façon immédiate à la sauvegarde de notre patrimoine ». conclue Sondos Belhassen, présidente de l’association L’Mdina Wel Rabtine, actions citoyennes en médina.

Regards posés. Hammams de la médina de Tunis

Institut des Cultures d’Islam – 5 rue Stephenson et 19 rue Léon 75 018 PARIS

Du 11 février au 3 avril 2016

Entrée libre

Du mardi au jeudi de 13h à 20h/ Le vendredi de 16h à 20h

Le samedi et dimanche de 10h à 20h

© Arthur Perset
© Arthur Perset

© Chehine Dhahak
© Chehine Dhahak

© Hamideddine Bouali
© Hamideddine Bouali

© Mahdi Chaker
© Mahdi Chaker

© Rania Dourai
© Rania Dourai

© Yacine Hakimi
© Yacine Hakimi